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Littérature orale

Textes, photos, audios © Patrick Kersalé

Nous distinguerons, dans ce chapitre, les aspects de la communication verbale à seul but d’échange d’informations au sein de la population, la communication entre le roi et le peuple gan, les aspects de la communication liée à l’éducation, aux jeux, aux louanges, aux initiations, à l’endormissement et la tranquillisation des enfants, à l’encouragement au travail et à l’entretien de l’esprit de convivialité.

Échange verbal en langage direct dans la population
Nous ne nous étendrons pas trop sur cet aspect de la communication verbale qui est le propre de tout un chacun dans le monde et qui ne présente pas de particularités dignes d’être développées.
La forme basique de la communication est la parole. Les Gan communiquent entre eux, comme tous les humains, aux cours de conversations. Ils s’expriment le plus généralement en ká̃ɑsɑ, mais également en jula, langue officielle et véhiculaire nationale, ou encore en français. L’espace d’échange est illimité et varie en fonction de la nature de la communication et de son niveau de confidentialité. Notons en particulier que le marché, qui a lieu tous les cinq jours à Dᴐwᴐpɛnɩ (Loropeni), est un lieu public privilégié d’échange des nouvelles.
Le langage courant peut être simple et direct mais également métaphorique ou proverbial, la compréhension de celui-ci étant directement lié au niveau culturel des interlocuteurs. À titre d’illustration voici quelques proverbes gan.

tɑ̃hɑ̃gɛ̃ fʋʋ khɑ' tɑ̃hɑ̃gɛ̃ dooni mɑ biI wɑ' yibiro
« Un sorcier pleure, disant qu’un sorcier a tué son enfant »

sũ⁄ phini wá mugo yɛ̃ soko kɛ'rɩsᴐ
« L’œuf n’a jamais demandé à jouer sur le conglomérat »

bɛrɩ̃ dɑkɩrá dé yɛɛ pɩ yóo kpɛɛnᴐ wũu mɩ̃⁄Ngo
« C’est à défaut de chien que l’on envoie la cabri à la chasse »

kpogbó yirerɑá seré yɛɛ nyá deyé
« Le poisson est dans l’eau mais voit loin »

insẽ boro horo kɑɑ kpárɛ̃
« L’eau de la rivière coule sans cesse »

pɑ̃ɑmbɛɛ sɩɩrɑ kɑrɑmᴐ khʋʋrɑ ʋ sɑgɑɑrɑ
« Le grenier porte toujours son chapeau »

Échange verbal en langage direct entre le roi et le peuple gan
Autrefois, lorsque le roi souhaitait convoquer quelqu’un, il envoyait un émissaire avec une queue d’éléphant qui était déposée devant le quidam. Le 28e roi des Gan a instauré un système de convocation écrite afin de motiver les parents à envoyer leurs enfants à l’école. Gare à celui qui prétendrait ne pas savoir lire !
Sur le plan protocolaire, il existe quelques obligations et interdits à la cour royale en fonction de la nature des visiteurs, mais globalement, la bonne éducation prévaut sur toute autre forme de contrainte. Parmi les obligations et interdits : hommes et femmes se déchaussent, se décoiffent et ces dernières mettent un genou à terre pour saluer le roi ; aucun prince ne peut s’asseoir sur un siège au palais royal. Les princesses étant toutes considérées comme des mères du roi, elles n’ont aucun interdit.
Toute forme de communication entre le roi et la population passe obligatoirement par son porte-parole (kɑsɩyɑ̃ qui assure le filtrage et l’introduction des visiteurs, la reformulation bilatérale des paroles entre le roi et ses interlocuteurs. Il a également un rôle de témoin. Aujourd’hui, selon la nature de ses visiteurs et le motif de l’entrevue, le roi communique volontiers sans intermédiaire.

Éducation ludique
Si aujourd’hui l’éducation des enfants commence à être prise en charge par un enseignement scolaire classique soutenu par le gouvernement, par des organisations humanitaires ou caritatives, il n’en a pas toujours été ainsi. Bien que l’actuel roi milite en faveur d'un enseignement moderne, le nombre d'enfants scolarisés est encore faible et l'éducation des garçons privilégiée au détriment de celle des filles. Les raisons de cette faible fréquentation de l'école sont nombreuses : faible sensibilisation des parents, manque de moyens financiers familiaux ou ressources mal gérées (développement sournois de l'alcoolisme et du tabagisme des hommes grevant considérablement les très faibles ressources familiales), nombre de places et d’enseignants insuffisant.
Le transfert traditionnel de la connaissance a certes lieu à chaque instant, au cours des conversations, mais également lors de séances dédiées. Malheureusement, le désintérêt des nouvelles générations pour les connaissances traditionnelles limite aujourd’hui leurs échanges avec les anciens, détenteurs du savoir. On organisait autrefois  des soirées autour du feu, au cours desquelles chacun pouvait écouter et prendre la parole, mémoriser et répéter, entraîner son esprit vers toujours plus de finesse. Le patrimoine de la littérature orale des Gan est d’une grande richesse : nombreuses métaphores dans le langage courant et dans toute la littérature orale, proverbes (sᴐᴐsᴐ), devinettes (kpɩr kpekpese - litt. conte court), énigmes (kpɩr sᴐᴐsᴐ), contes et légendes (kpɩrgɑ̃, chantefables (kpɩr sʋ̃nɩgɑ - litt. conte long), prières (ɩ̃yee kɑ̃nsɑ̃, chants (tɩ)Ngɑ̃.
L’acquisition de la connaissance auprès des anciens est affaire de patience : qui souhaite obtenir des informations doit les fréquenter assidûment et de manière désintéressée, être à l'écoute de leurs désirs et les satisfaire autant que faire se peut, afin nouer la confiance et favoriser la communication. ɑfin que naisse la parole, les jeunes doivent apporter aux anciens, qui parleront à la nuit tombée, un fagot de bois qui les réchauffera et prolongera la séance jusque tard dans la nuit. Notons qu’il existe, chez les Gan comme dans d’autres ethnies d’Afrique subsaharienne, un interdit diurne de conter et de poser des devinettes ; selon la croyance, celui qui enfreindrait cet interdit pourrait voir son père mourir prématurément. Celui-ci semblerait correspondre à un souci d’efficacité lié au travail de vigilance des enfants qui est d’éloigner les oiseaux des récoltes.
Lorsque tous les participants sont réunis autour du feu dans la cour de la concession, la soirée commence par des devinettes. Tout le monde peut prendre la parole à tour de rôle. ɑprès un long échange entre tous les participants, y compris les enfants qui sont invités à répéter des devinettes entendues les jours précédents, quelqu’un prend la parole et dit kpɩrɩ (conte). Autrefois, un conteur pouvait introduire des narrations de contes en demandant : « Savez-vous pourquoi le lièvre a le front blanc ? ». Lorsque l’assemblée répondait « non ! », le conteur commençait. Puis, à tour de rôle, chacun lance soit un conte, soit une chantefable, soit encore une énigme afin de faire s’exprimer des points de vue différents.

Dans le seul but d’illustrer notre propos, voici quelques exemples extraits du répertoire traditionnel de la littérature orale gan .

Les devinettes
Elles sont la base même de l'éducation des enfants à l'environnement naturel et social. Elles permettent d'aiguiser leur discernement et de faire travailler leur mémoire.  

  • « Mon père avait trois chiens. L’un est mort et les deux autres n’ont pas pu manger. Qui est-ce ? » Le foyer. (Les gan utilisent un foyer tripode en pierre ou en banco. Si l’un des pieds vient à manquer, on ne peut plus cuisiner.)

  • « Le roi est toujours sur son cheval. Qu’est ce que c’est ? » Le toit du grenier.

  • « Un bébé avec lequel on ne peut s’amuser. Qu’est-ce que c’est ? » La jeune igname. (Lorsque la jeune pousse d’igname sort de terre, elle est très fragile et casse si on la touche.)

  • « Un jeune enfant plein de sorcellerie. Qu’est-ce que c’est ? » Le piment.

  • « Un fil qui fait le tour du monde. Qu’est-ce que c’est ? » La mort. (Qui tue partout.)

  • « Le lièvre de la nuit court sans cesse. Qu’est-ce que c’est ? » La rivière.

  • « Le chef de la cour est chauve. Qu’est-ce que c’est ? » Le tambour. (Le tambour est considéré comme une personne humaine car il peut informer d’un décès comme le ferait un chef de famille avec sa propre parole.)

  • « Les dents blanches. Qu’est-ce que c’est ? » Les étoiles.

  • « J’ai enfermé mon bœuf. Une corne est sortie au dehors. Qu’est-ce que c’est ? » La fumée. (Qui sort de la casẽ

  • « Je suis allé accompagner ma fiancée et elle me suit. Qu’est-ce que c’est ? » La cendre. (Qui vole à tout vent.)

  • « J’ai déposé des cauris au bord de la route en partant en voyage. ɑ mon retour ils n’y étaient plus. Qu’est-ce que c’est ? » Le crachat.

  • « J’ai cultivé un grand champ mais quand j’ai récolté cela tenait dans ma main.. Qu’est-ce que c’est ? » La chevelure. (Le champ est ici la tête et la récolte les cheveux.)

  • « Plusieurs femmes ont essayé de balayer la cour mais aucune n’y est parvenu. Une seule femme est venue et l’a balayé.. Qu’est-ce que c’est ? » La lune. (De nombreuses étoiles qui n’éclairent pas et l’unique lune qui éclaire.)

  • « Le matin j’ai salué ma belle-mère, elle ne m’a pas répondu. ɑ midi, je l’ai saluée, elle m’a répondu. Qu’est-ce que c’est ? » Les feuilles mortes. (Le matin elles sont ramollies par la rosée et à midi elles sont sèches et craquent sous les pieds.)


Contes et légendes
Sur le plan éducatif, les contes forment essentiellement aux bonnes mœurs, mettent en garde contre les défauts de l'homme. De nombreux contes attribuent les traits de caractères des humains à des animaux, qui en sont les principaux acteurs. Quant aux légendes, elles offrent quelques notions historiques sur la royauté.

Le mords de cendre et d’huile
« Il était une fois, un roi très sévère qui avait rassemblé tous les enfants de sa région. Ils leur demanda à tous d’appeler leur père. Les enfants obéirent et le roi les tua un à un.
Un des enfants avait quant à lui creusé un trou et y avait caché son père. Il l’approvisionnait régulièrement en nourriture. ɑprès avoir tué tous les pères, le roi proposa aux enfants de faire un travail qui consistait à fabriquer un mords de cheval avec de la cendre et de l’huile. Aucun enfant ne parvenait à réaliser une telle prouesse et tous étaient frappés à mort. Chaque jour, le roi réitérait sa demande mais aucun enfant ne parvenait jamais à fabriquer un mords avec de la cendre et de l’huile et, sans relâche, ils étaient frappés à mort.
Un soir, l’enfant qui avait caché son père dans le trou, alla trouver celui-ci et lui dit : 
— Père, si un jour vous ne me voyez plus, c’est que je suis mort, car le roi nous a confié un travail impossible à réaliser.
Le père demanda : 
— Quelle est cette tâche ?
L’enfant répondit :
— Le roi nous a demandé de fabriquer un mords avec de la cendre et de l’huile. 
ɑlors le père rétorqua :
— Mais mon fils, ceci n’est pas un travail ! Lorsque ton tour arrivera et que le roi te demandera de construire un mords avec de la cendre et de l’huile, dis-lui que tu acceptes de le faire à condition que Sa Majesté te présente l’ancien modèle fait de cendre et d’huile. Ainsi, tu pourras le reproduire, car il n’est pas possible de fabriquer une chose sans avoir un modèle.
Le jour où le tour de l’enfant arriva, il dit ceci :
— Votre Majesté, j’ai quelque chose à dire avant de mourir. Je souhaiterais voir un modèle du mords que vous nous demandez de fabriquer, même s’il est brisé et que seul un morceau subsiste.
Le roi demanda à isoler l’enfant pendant un moment. Le soir venu, le monarque le fit appeler et lui dit :
— Ton père est vivant. 
L’enfant rétorqua que son père n’était pas vivant, mais le roi insista et affirma que son père était vivant. Il lui demanda de l’amener, précisa qu’il ne le tuerait pas, mais lui ferait une proposition. Trois jours passèrent pendant lesquels l’enfant nia toujours que son père était vivant. L’enfant s’en alla alors trouver son père et lui expliqua la situation. Le père répondit :
— Ce n’est pas grave ; même si le roi doit me tuer, j’irai le trouver. Je préfère mourir à ta place.
Ils partirent alors tous les deux chez le roi. Arrivés là, Sa Majesté les reçut. Il prit sa lance, traça une ligne sur le sol et dit ceci :
— Au delà de cette ligne, vous-même et votre père commanderez ce territoire, car vous êtes le plus intelligent. Vous n’avez pas voulu tuer votre père. S’il était mort, vous seriez mort vous aussi. Moi je commanderai le territoire se trouvant de l’autre côté de cette ligne. »

Les chantefables
Les chantefables ont le même objet que les contes, mais permettent en plus à l'assistance de participer en chantant des refrains.

L’homme qui voulait épouser une femme sans scarifications

« Il était une fois un homme qui voulait épouser une femme sans scarification. Un chien, ayant appris la nouvelle, décida de se transformer en une telle créature. Le jeune homme la courtisa alors et l’épousa. 
Un jour, le mari partit à la chasse et rapporta du gibier que sa femme prépara. Elle lui donna toute la viande et lui demanda de lui remettre les os afin qu’elle aille les jeter. Ainsi, elle partit en brousse, mais au lieu de jeter les os, elle se mit à les croquer.

Refrain
Le mariage, ce n’est pas difficile
Je prépare la viande pour vous
Vous la mangez
Et moi je vais jeter les os.

La femme insista :
« Il ne faut pas laisser les os dans la maison car quelqu’un risquerait de se blesser. 

Refrain : id.

Un jour, un vieil homme surprit la femme en train de manger les os. Aussitôt, il en informa le mari :
« Votre femme n’est pas une femme mais un chien déguisé en une belle femme. »
Le jeune homme se fâcha, pensant que le vieil homme voulait faire rompre son mariage. Mais ce dernier réfuta l’opposition et invita le jeune homme à venir se cacher dans un buisson et observer la scène. Ainsi, le lendemain, le jeune homme partit à la chasse, rapporta un gibier que sa femme prépara, mangea la viande, remit les os comme à l’accoutumée, se leva et partit se cacher dans un buisson. Il vit alors son épouse arriver en chantant :

Refrain : id.

Dès la chanson terminée, sa femme commença à manger les os. À la fin du repas, elle ramassa le récipient les ayant contenu et rentra à la maison. Lorsque le jeune homme revint à son tour, le vieux lui demanda : « Qu’as-tu vu ? »
Le jeune homme avoua alors la réalité des faits annoncés puis repartit à la chasse, rapportant un nouveau gibier que sa femme prépara. Celle-ci commença par mijoter la sauce puis confectionna le to. ɑlors, le jeune homme se saisit de son arc-à-bouche (kɑ̃gɑ
mɑ et joua la chanson de la femme : mm mm mm mm mm...

Celle-ci, surprise, lui demanda : « Où as-tu entendu cette chanson ? »
L’homme répondit : « C’est une chanson ancestrale de chez nous. »
La femme répliqua : « Cette chanson est notre tabou et nous ne devons pas la chanter lorsque l’on travaille ! »
Le mari continua cependant à jouer la chanson sur son arc-à-bouche : mm mm mm mm mm...

Alors, la femme changea d’apparence. Au moment où sa tête redevint celle d’un chien, l’homme prit l’arc-à-bouche pour lapider l’animal, le frappa et l’instrument se transforma en queue de chien. »

« C’est depuis ce jour que le chien a une queue. »


Les énigmes
Les énigmes ont pour rôle de faire réfléchir et s'exprimer tout un chacun selon un argumentaire personnel, sur un problème posé de manière originale et ludique.

La juste propriété
« Il était une fois, trois hommes qui effectuaient ensemble un voyage à pied : le premier avait un chien, le second du manioc emballé dans des feuilles et le troisième des arachides. Les trois hommes cheminaient ensemble. Ceux qui avaient les arachides et le manioc s'échangeaient leur nourriture, se régalant sans penser à celui qui n’avait que le chien. Quand il eurent fini de manger, l'homme qui avaient les arachides jeta les coques en brousse. En tombant, la boîte contenant les coques fit un grand bruit qui attira l'attention du chien. L’animal s'enfonça aussitôt dans la brousse mais ne revint pas. ɑlors son maître partit à sa recherche. Quand il le retrouva, le chien se tenait près d’une énorme défense d’éléphant et se repaissait des restes du pachyderme. L'homme se chargea de l'ivoire et rejoignit ses compagnons.
L'un deux dit : 
— C'est grâce à moi si ton chien a trouvé l'ivoire car c'est moi qui ait jeté les feuilles qui ont attiré son attention, nous devons partager l'ivoire entre nous deux.
L'autre homme déclara à son tour :
— C'est grâce à moi si tu as fini de manger tes arachides à cet endroit précis et que tu y as jeté les coques, donc nous devons partager l'ivoire à trois.
Ne pouvant trancher le litige, les trois hommes demandèrent que justice soit rendue par la cour royale. »

« Lequel des trois compagnons doit-il garder l'ivoire ? »

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