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Harpe koninyɑ̃
La harpe arquée
Nous avons consacré un dossier spécial à la harpe arquée du Burkina Faso. Pour y accéder, cliquez ici.

Description
Le koninyɑ̃ (qui nomme ce site Internet) est une harpe arquée, instrument endémique de l'Afrique noire. On le rencontre dans plusieurs ethnies Burkina Faso, notamment : Badogo, Bwa, Bobo, Birifor, Dagara, Docsè, Dyan, Komono, Lobi, Pougouli, Vigué. En français africain, on la désigne parfois sous le vocable “harpe ombilicale” ou encore “guitare” suivi du nom de l’ethnie. La particularité de cette harpe, par rapport aux autres harpes arquées rencontrées ailleurs en Afrique noire, est que les cordes ne viennent pas s’accrocher sur la caisse de résonance, mais sont perpendiculaires à celles-ci. De ce fait, sur un plan purement organologique, on devrait plutôt la considérer comme un “arc multicorde à résonateur”. Nous utiliserons cependant le terme “harpe arquée” largement répandu dans la littérature ethnomusicologique.
La harpe arquée dont il est question ici est constituée d’un manche (bᴐ'rᴐ), d’une caisse de résonance (khokpónno) et de cordes (thine). La forme du manche en bois varie de l’arc proprement dit, au demi-cercle. Il est fixé par ficelage à une caisse de résonance constituée d’une demi-calebasse originellement sphérique. Pour cela, cette dernière est percée de plusieurs trous permettant le passage des liens. La calebasse est soit la plante rampante Lagenaria vulgaris (Cucurbitacée), soit le fruit du calebassier Crescentia cujete (Bignoniacée). La caisse de résonance est parfois percée d’une ou deux ouvertures circulaires de 15 à 20 mm sur lesquelles sont tendues de très fines toiles (nɑɑninɑ) — formant à l’origine le cocon protecteur des œufs d’une araignée — censées générer une légère vibration. Cependant, compte tenu du peu de performance d’un tel dispositif, l’extrémité du manche est souvent munie de sonnailles : sur le pourtour d’une petite tôle souple (nyɑgɑ) sont accrochés des anneaux qui tintent sous l'effet de la vibrations des cordes.
Le koninyɑ̃ est accordé selon une gamme pentatonique proche de Do, Ré, Fa, Sol, La, Do.
Harpe koninyɑ̃ & chants polyphoniques
Dans cet extrait, le chœur rythme le chant par la répétition obstinée d’une formule préalablement communiquée par le soliste et adaptée par les différentes chanteuses du chœur. Ce chant présente plusieurs particularités :
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hétérophonie responsoriale avec tuilage
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ostinato du chœur et entrelacement de la voix soliste
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expression soliste parlando et cantando.
« Grand frère, grande sœur, je suis égaré. J’ai beaucoup souffert, je suis fatigué. Je suis venu cultiver et la moisson a été bonne. J’ai vendu le produit de ma récolte au lieu de mes terres. Père, j’ai confié la tâche à un homme de confiance (mais qui était en réalité un escroc). Il est venu, nous avons compté l’argent : 60 000, 80 000, 90 000 F. Je lui avais dit de le conserver mais il l’a lui-même confié à un escroc encore plus grand que lui. Quelqu’un a volé cet argent mais ne l’a pas dépensé. Un sorcier est venu prendre cet argent. Cher père, le sorcier est venu prendre cet argent et me maudire ».
Réponse du chœur (en fonction des femmes) :
« Nous sommes perdus.
Oncle, nous sommes perdus. »
Interprète : Akouna Farma
Utilisation
Le koninyɑ̃ est joué lors de la fête de la fin des moissons (kpogoso) mais pas systématiquement. C’est un instrument spécifiquement utilisé pour créer une ambiance de fête.
Jeu
La partie ouverte de la calebasse servant de caisse de résonance est placée contre le ventre du musicien. Pour modifier l’intensité sonore (qui est faible), le joueur fait basculer la harpe vers l’avant afin « d’ouvrir » la caisse de résonance et modifier ainsi l'amplitude sonore. Les cordes sont pincées avec le bout des doigts ou avec les ongles, ce qui permet, dans ce dernier cas, d’obtenir un son plus sec et plus puissant. Plusieurs instruments jouent parfois simultanément l’accompagnement des chants. Cet instrument est toujours et exclusivement accompagné par les bᴐyᴐ (clochettes des danseurs ou outils métalliques percutés). Il faut noté que le terme koninyɑ̃ englobe, dans la pensée gan, la harpe elle-même et les bᴐyᴐ.
Les Gan le joue de manière mélodico-rythmique, soutenant le chant des femmes et animant les danses de réjouissances. Le harpiste accompagne son propre chant auxquels répondent polyphoniquement les femmes. Lors des fêtes, il est courant que deux harpes jouent simultanément ; dans ce cas, seul un harpiste chante, l'autre instrument doublant seulement le jeu mélodico-rythmique du soliste.
Les cordes sont pincées soit avec le bout des doigts, soit avec les ongles afin d’obtenir un son plus sec et plus puissant.
Les thèmes des chants traitent de la vie villageoise, beaucoup d’entre eux étant moralisateurs. Il s'agit d'un répertoire vivant proposant plutôt des chants d'actualité.
Harpistes
En 1994 demeuraient quelques rares harpistes. En 2003, ils avaient tous disparu à l'exception du célèbre Akouna Farma.
Ethnies voisines possédant cet instrument
En l’état de nos recherches, il semblerait, qu’au Burkina Faso, la harpe arquée trouve son origine chez les Bwaba qui sont, semble-t-il, les seuls à l'utiliser dans un aussi grand nombre de rituels (encouragement des cultivateurs et agrémentation de leur repos lors des travaux champêtres, accompagnement de la mouture des céréales sur la meule dormante et du pilage, danse des masques, célébrations de mariages, cérémonie secrète du lo). Chez les Bwaba comme chez les Gan, elle est jouée de manière mélodico-rythmique. En revanche, chez les Lobi, les Dyan et les Pougouli, elle est jouée mélodiquement en auto-accompagnement des chants. Dans ces ethnies voltaïques et animistes, parmi les musiques jouées par des hommes adultes, celle pour harpe arquée est une des rares à ne pas être associée à un quelconque rituel ou activité. On la joue pour passer le temps, en présence d’un nombre réduit de personnes, notamment lors des veillées. Les chants se font l’écho des histoires villageoises gaies ou tragiques, des moqueries.
Akouna Farma
Akouna Farma, messager du royaume
Un film de Patrick Kersalé. 25 mn
Akouna Farma est un véritable auteur-compositeur-interprète traditionnel. Handicapé par sa cécité, il n’a appris ni à lire ni à écrire. Sa connaissance, sa création, passent par l’oralité. Il se déplace seul avec sa harpe sur de longues distance à travers les pistes de brousse pour aller animer fêtes et cérémonies. Adulé dans tout le pays gan, sa présence est un gage de réussite des festivités. Si sa musique est imprégnée de la tradition ancienne, les paroles de ses chants puisent à la fois dans son vécu et dans les problématiques contemporaines, telles le SIDA et l’immigration. Sa Majesté le 28e roi des Gan témoigne de l’importance de la musique dans les activités profanes et religieuses de son royaume. Mais Akouna Farma n’est pas seulement harpiste…